Un documentariste vient de se faire refuser par le conseil régional une part d'aide à la création pour un film qui envisage de militer contre le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (l'info sur le site de Presse Océan ici et la réponse de la Région ici). Certes : pourquoi le conseil régional contribuerait-il à financer un type qui va critiquer ses décisions ? On comprend la logique et les hauts cris, en effet, que pourrait pousser le contribuable... même si les 4 000 € pour aider l'opposition resteront bien en deçà des 540 000 € consacrés à la promotion du projet par la Région selon Terra Eco. Passons enfin sur la ligne directrice en matière de choix artistiques comme le fait remarquer justement un sarcastique, puisqu'on sait que si l'art dépend du mécène, il doit rester du goût du mécène.
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Le fait souvent étonnant est que le mécène aime pourtant parfois qu'on lui fasse dessus, et qu'il peut afficher des goûts, comme on dit, de chiottes. C'est pourquoi il convient de lier ce fait à un autre, opposé : celui de la création, l'exposition et la vente de crottes d'éléphant par un artiste néerlandais du nom de Kamiel Verschuren à la galerie Paradise, dans le quartier des Olivettes, à Nantes. Citons Ouest-France, parmi la presse qui a écrit des papiers par rouleaux sur la crotte, aussi circonspecte que respectueuse : "La crotte serait ainsi le « symbole d'une culture qui mise tout sur l'éléphant, mais fait le vide autour d'elle ». Kamiel Verschuren conçoit son œuvre comme un obstacle urbain qu'il envisage de placer « par exemple devant la porte des locaux du Voyage à Nantes ». Le voyage à Nantes est l'événement à la fois culturel et touristique qui propose aux visiteurs de découvrir des œuvres surprenantes au cours d'une promenade dans la ville". Précisons que Le Voyage à Nantes... recommande la galerie Paradise dans son parcours 20131.
On pourrait gloser une énième fois sur la fatigue extrême depuis des décennies de l'art contemporain qui n'est plus bon qu'à fournir des idées mollassonnes ou au mieux spectaculaires appuyées par des discours fallacieux, afin de devenir un accessoire insolite pour le tourisme massif et de classe moyenne, une sorte de design paysager ou urbain prétentieux, dévoyant définitivement les termes même d'art et de culture. Cette nullité de l'art contemporain, Baudrillard l'a décrite avant moi, et bien mieux, le 20 mai 19962. On aurait pu rappeler -mais ce faisant on va le faire quand même- que ce genre de gentille provocation pipi caca popo, soit j'irai poser mon étron sur ton paillasson et tu vas t'extasier, fait bailler depuis La Fontaine de Duchamp ou la merda d'artista de Piero Manzoni. L'astuce, depuis qu'elle a été déclinée des millions de fois par des pseudos rebelles subventionnés (le monde du théâtre en est lui aussi bondé) qui se plaisent à insulter ceux qui les financent ou les promeuvent, ne fait plus d'eux, et depuis belle lurette, des artistes mais d'anecdotiques et peu crédibles rigolos.
On pourrait citer aussi La chambre squattée d'Agnès Varda, œuvre du Voyage à Nantes 2012 dénonçant (plutôt faiblardement d'ailleurs) la condition des mal logés grâce à l'argent de la Métropole, et qui suscita une lettre anonyme cinglante. On pourrait citer les gentilles gesticulations vaines, et surtout épiphytes, des bisounours du Virage à Nantes qui lorgnent sans doute sur le gâteau à défaut d'en avoir une part.
On pourrait s'énerver, lancer des anathèmes, vociférer au risque de passer pour un vieux thon (rouge à cause des coups de soleil, et hors quota). Mais on s'avoue las de tant de bêtise de la part des institutions comme de celle de bien des faiseurs d’œuvres dénuées de sens ou se donnant des airs de profondeur. Alors on préfère se traîner à l'ombre et ignorer ces œuvruscules, tout comme le font d'ailleurs les rares touristes qui errent en ce moment sur l'esplanade des Machines, ou dans Nantes accablée par la chaleur et la baisse du tourisme, aussi visible que cruelle.
Cela étant, on se dit en sirotant frais qu'il est pourtant bien possible que Nantes et la région soient réellement des laboratoires et qu'elles ont toutes deux des décennies d'avance. Parce qu'on s'apercevra ici avant les autres -du moins on l'espère-, à force de tels n'importe quoi, que les discours sophistes et à géométrie variable, le blouguiboulga touristico-culturel, la communication démagogique ou attendue, l'art arrosé trop, pas ou pas assez, dégagent un vide abyssal et un ennui auxquels "les gens" (ces individus indéterminés qui ressemblent tant "aux gens") n'adhéreront plus. En attendant patiemment ces jours moins imbéciles, on ricanera avec les œuvres virtuelles de La Vidange à Nantes dont la dérision potache fait, elle, sens, pointant les vanités et concentrant en chacune de ses images toute argumentation verbeuse, même la mienne.
On souhaitera au documentariste, par goût pour le pluralisme et pour ceux qui veulent vraiment exprimer quelque chose de pertinent, de les trouver ailleurs, ses 4 000 €, même si cela peut prendre plus de temps de nos jours que de faire accepter un nouvel aéroport. Enfin on rappellera simplement qu'il ne faut pas dire devant un amateur d'art que la crotte d'éléphant, c'est bullshit, au risque, sinon, comme Baudrillard, de se faire chier dans les bottes.
1 Pour plus de crotte, voir ici : www.galerie-paradise.fr/#la-crotte-de-l-elephant
2 Il a été traité de réactionnaire, d'ouverture au populisme, etc. (www.liberation.fr/tribune/0101179372-le-complot-de-l-art). Et comme vous aimez vous prendre la tête durant les vacances, un bon résumé de la polémique ici : http://nezenlair.unblog.fr/2007/03/10/jean-baudrillard-iv-baudrillard-polemiste
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