Pause dans une station d’autoroute entre Bordeaux et Pau. Pas un chat dans la cafétéria-bazar. Jo Rana, le batteur, se sert un café au distributeur. Une équipe de télé de France 3 lui saute dessus, trop contente d’avoir enfin un témoin à cuisiner : "Alors, ne trouvez-vous pas étrange que cette autoroute soit vide ?". Jo qui tombe du ciel ne s’est évidemment jamais posé la question, et le voici bombardé expert autoroutier. À moitié groggy par la route, et bourré de médocs à cause d’une crève qui monte, il grommelle une réponse évasive.
Nous : pliés en quatre, on le photographie sous tous les angles. C’est son quart d’heure warholien, après tout. Un comble pour un type toujours sur scène. "Cette autoroute est vide… C’est parce qu’elle est chère !" répond la journaliste à la place de Jo, espérant sans doute le scandaliser. Mais elle fait un flop : "Ah bon…", fait-il en sirotant son jus de chaussettes Lavazza à 1 € 50. Al Padchenou en profite pour brancher l’équipe de TV et lui faire l’article : "alleeez…, venez nous voir jouer ce soir à Pau, au Show Case…" et distribue des flyers.
On repart, hilares. L’équipe de télé sur Jo Rana va nous servir de running gag pour le taquiner. Cette spécialisation en diagnostic autoroutier fait l’objet de bien des vannes et l’occasion d’une formation à la com’ pour lui : "Si on te demande quoi que ce soit, désormais, tu réponds toujours : Lulu La Nantaise joue toutes les musiques de film trouve que oui, il n’y a pas beaucoup de monde sur l’autoroute, que Lulu La Nantaise joue toutes les musiques de film trouve que non, on ne devrait pas ceci ou cela", lui enseigne Al avant de tapoter l’oreiller qu’il a pris soin d’apporter à l’arrière afin de repiquer son roupillon contre la portière. Il a cette capacité étonnante de dormir tout le long du voyage et de ne se réveiller qu’aux arrêts. Il est vrai que dans quelques heures, il va danser le twist tout en soufflant dans son sax ténor. Il faut se ménager.
Irréductibles bosseurs
Al Padchenou, toujours prêt à communiquer sur Lulu La Nantaise, m’a confié un jour qu’il avait toujours rêvé, tout petit déjà , d’avoir un groupe. Un peu comme Christophe Lambert dans Subway de Besson… Le cinéma encore et toujours, pour la vie, comme dans la vie. Les quatre membres du groupe en sont fondus et c’est sans doute un lien de plus autour de ce goût qu’ils ont parfois durant des semaines à façonner, malaxer, pétrir pour enfin se les kidnapper… les mêmes morceaux. J’avoue être assez fasciné par leur rigueur pour les avoir vu travailler plusieurs fois, dont notamment en décembre, en résidence dans l’immense salle de spectacle de Nord-sur-Erdre… du moins avant que le club de l’âge d’or, ou genre, ne débarque pour installer les tables du réveillon de Noël. En représailles et pour le fun, les Lulu ont joué à fond le rock de l’Exorciste 2. Des vieux doivent encore s’en souvenir et des sonotones ont sans doute morflé.
Tout le long du trajet, en causant de tout et de rien, en écoutant en boucle les mêmes disques, de Smooth à Jimi Hendrix, on n’aura vu que neige durcie et subi que froid de canard. Al Padchenou a repassé ses textes et ses partoches qu’il connaît pourtant par cœur, et nous a même fait subir des accords joués à l’orgue Bontempi enregistrés sur son PC portable à fin de révision. Étonnant : il a joué ça mille fois sinon plus, et pourtant, il a besoin de réviser la moindre phrase musicale, la moindre réplique dite durant le spectacle, tirée ou non de films cultes. Zaza, lui, homme de son, de câbles et de machines qui font ping, est tout content avec son adaptateur allume-cigare – 220V acheté sur l’autoroute pour charger son PC : il aura pu classer son dossier Itunes durant le trajet. Y a des types, vraiment, qui ne pouvaient rien faire d’autre, dans la vie…
Le Palois est dur à remuer
On arrive à Pau vers 18 h après s’être un peu paumés en ville. Déballer le camion, installer le matos sur scène. Le patron du Show Case time est très sympa, même s’il a tendance à beaucoup se plaindre sur les aléas des petites scènes indé –la variante du c’est dur pour le p'tit commerce ; on veut bien le croire et on attend que l’argumentation soit terminée, car parfois, nous-mêmes, hein, a-t-on envie de rétorquer-, à se vanter de son rôle dans la carrière internationale de quelques stars et à vouloir nous faire croire que la paëlla (bonne, néanmoins) d’avant le show vient de chez le traiteur.
Conférence -au début, un peu dans le trac et pas assez chaud, je fais quelques "pains" comme disent les musiciens, mais ça le fait car le public découvrant le délire pense qu’ils sont voulus- puis concert-spectacle de Lulu la Nantaise, impeccable, ultra rodé. Il y a tout le grand jeu : la rose qu’offre Al à la mignonne du premier rang pour danser avec elle sur Touche pas au Grisbi, la scène avec Kip, Luigi et Jo qui se lèvent armés jusqu’aux dents pour menacer le public, le passage en japonais sur Bruce Lee, les répliques culte de cinéma époque Tontons... Et puis clore sur le rappel avec La dernière séance "croonée" par le Padchenou.
Ce soir-là , une quarantaine de spectateurs. Le Palois semble être toutefois dur à remuer ; ce qu’on me confirmera lors d’une discussion au bar. Quelques fessiers se sont bien agités sur la BO twist de "Faites sauter la banque !", un des morceaux de bravoure de Al qui souffle dans son sax en gesticulant du genou et en arpentant la salle, mais tout juste. Et pourtant, les gens disent avoir adoré. Remballage du camion par moins dix, dernier verre, puis dernier verre, puis un dernier verre, puis un dernier verre, puis direction l’hôtel, car on est assez cassés : le lendemain, vendredi 10 février, on joue à Vitrolles lors du festival de cinéma Les Lumières". Encore six heures de route.
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