Ça a commencé bêtement. J’avais passé ma semaine de congé à refaire ma salle de bain ; à vrai dire c’était plutôt la salle de bain qui m’avait refait. Quand je me lance dans les travaux chez moi, même sans élan, je sais à l’avance que je m’embarque dans une galère. J’ai beau me dire de pas m’énerver, que je trouverai des solutions, il y a toujours une conspiration du chantier pour me foutre les nerfs. Je commence par décoller l’ancienne tapisserie, en prime j’ai le plâtre qui vient avec. Pas grave ! J’enduirai entièrement le mur. Ça me fera juste perdre trois petites heures parce que comme par hasard, mon enduit a séché au fond du pot depuis la dernière fois où je m’en suis servi et j’ai gagné un aller-retour du centre-ville où je crèche maintenant jusqu’à chez Casto dans la zone commerciale sud pour en acheter d’autre. Au dessert, je boufferai de la poussière, évidemment, puisque le lissage appelle le ponçage comme la sirène appelle le marin ou le pomÂpier, ça dépend du contexte. En déposant le lustre, j’ai sectionné les fils électriques, normal, ils étaient cuits. Moi aussi, je suis cuit et bon pour reprendre ma bagnole ; en route pour Leroy Merlin, histoire de ne pas me répéter et faire marcher la concurrence. Même si j’achète des dominos, j’ai plus vraiment envie de jouer.
La course d’obstacles a duré toute la semaine, chaque jour apportant son lot de surprises : robinetÂterie obsolète et joints poreux ! Ce matin, je n’avais plus qu’un trou à reboucher, car quand j’avais voulu accrocher le miroir, j’avais percé dans un joint entre les briques, c’est tout moi ça ! La cheville refusant de tenir, il fallait que je décale la glace de trois centiÂmètres vers la droite, pas plus, sinon j’étais obligé de percer au ras de la prise électrique, c’était un risque que je ne voulais pas prendre… courageux, mais pas téméraire ! J’avoue que là , le marteau à la main, j’ai frisé les sept ans de malheur et que le miroir a failli s’arrêter de réfléchir à tout jamais. Mais comme j’atÂteignais la dernière ligne droite, je me suis repris et ai terminé proprement le boulot, j’ai même passé l’asÂpirateur pour sceller sans rancune la fin du chantier. Je n’ai pas poussé le zèle à nettoyer les pinceaux, je les ai balancés directement dans la poubelle avec les pots de peinture vides et les restes de white-spirit. Je sais que ce n’est pas écolo, mais quand la déchetterie municipale est plantée à quinze bornes en banlieue avec des horaires d’ouverture qui ressemblent à ceux d’un pays du Maghreb pendant le ramadan, faut pas déconner non plus.
Ce soir-là , si j’avais terminé de lessiver les peinÂtures et le reste, les peintures et le reste m’avaient rendu coup pour coup, j’étais bien lessivé aussi. Pour me remettre d’aplomb et parce que honnêtement je pensais que je l’avais amplement mérité, je suis desÂcendu au pub Mac Burn, la cantine du quartier, où j’avais mes habitudes dans l’intention inavouable, mais déterminée, de picoler un peu.
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Extrait de Peau de peinture, de Thierry Picquet, éditions du Petit Pavé, février 2015, 174 pages, 18 €. Achat en ligne sur le site de l'éditeur.
L'auteur : Thierry Picquet Poupées russes sauce Columbo La silhouette fluette et énergique, la gouaille, la voix rocailleuse, le teint méditerranéen et même le long imper : Thierry Picquet a définitivement un petit air à la Columbo. Il n'a pourtant jamais été inspecteur, seulement commissaire… d'exposition. Né à Nantes en 1957, Thierry Picquet est avant tout professeur de lettres en filière spécialisée pour jeunes en difficultés. "Mon boulot est davantage celui d'un éducateur que d'un enseignant." Grand lecteur, fan de polars, il est progressivement passé à l'écriture en étudiant Pierre Véry, écrivain et scénariste auquel il a consacré un essai : "Je suis devenu ami avec sa famille et suis l'un des spécialistes français de cet auteur. J'ai d'ailleurs été commissaire d'une exposition sur son œuvre organisée à Paris. Mais au bout d'un moment, à force de démonter les mécanismes de l'écriture, j'ai eu envie de m'y essayer à mon tour." Il publie ainsi le recueil de nouvelles Un moment d'abandon en 2002, puis le roman Le mur de l'alimentation en 2011. Mais comme les poupées russes, un Thierry Picquet en cache toujours un autre. Membre de la première heure de l'association des Romanciers nantais, il s'implique depuis longtemps dans les milieux associatif et culturel, multipliant les casquettes : également scénariste pour le cinéma, il a été manager d'un groupe de rock et d'une troupe de théâtre, et participe à l'organisation d'événements artistiques. À Nantes, il prépare un festival du livre avec plusieurs petits éditeurs. Avant, il a piloté pendant cinq ans un festival de musique, cinéma et arts vivants qui détonnait dans le village aveyronnais de 400 habitants où il a acheté un petit coin de paradis. Bientôt à la retraite, il pourra allonger ses séjours à la campagne, et projette d'y organiser des résidences artistiques. Au calme, mais toujours sur un fond de rock'n'roll. "J'aime bien les oppositions, les choses qui surprennent." Thibaut Angelvy |
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