Le ciel est changeant. Une minute il se drape de ce gris bruineux caricaturalement breton, la suivante il penche vers un bleu clair prometteur. Le jeu, lui aussi, est versatile. Une seconde on agrippe le ballon de la main, celle d'après on tape dedans au pied. Tel est le football gaélique, importé dans l'Hexagone au milieu des années quatre-vingt-dix, par une poignée d'Irlandais frappés par le mal du pays.
En ce doux samedi de mai, les Oies Sauvages rennaises reçoivent sur leur terrain des Abeilles nantaises pour la demi-finale de la Coupe de Bretagne. Au coup de sifflet final, le score est sans appel : 4-10 – c'est à dire 4 buts de football et 10 coups de pied entre les perches façon rugby – pour le Rennes Ar Gwazi Gouez contre 0-2 pour le Nantes Football Gaélique, en effectif réduit il est vrai.
"C'est quoi ce machin ?!"
"La première fois, j'ai regardé ça de loin et je me suis dit "c'est quoi ce machin ?!", nous racontait sur le chemin du stade, Jean-Marie Triniol, 40 ans, dont huit de pratique du gaélique à Nantes. "Certains gestes, certaines qualités viennent d'autres sports. Sur les prises de balle, tu reconnais tout de suite ceux qui font du rugby. En Irlande, c'est différent, car c'est l'apprentissage de base".
Sur l'île de l'Atlantique Nord, la pratique du caid est au moins tricentenaire, avec un premier match fondateur qui a opposé les comtés de Louth et Meath aux alentours de 1712. On y compte aujourd'hui 500 000 licenciés (soit un habitant sur 10 !), ce qui en fait le sport numéro 1, immuablement amateur. La Fédération française de football gaélique (FFFG), créée en 2006, chapeaute, elle, quelque 600 licenciés à ce jour (soit un habitant sur 100 000 à peu près) jouant dans 21 clubs, dont la moitié sont bretons.
Assis sur la pelouse à la fin du match, le gardien de but nantais Emmanuel Lemaître, 31 ans, détaille son embrigadement, "au début, à Nantes, il y a dix ans, on était trois. Mais ce qui m'a plu dès le début, c'est le combat sur le terrain et la fraternité en dehors. C'est l'amateurisme qui veut ça, il n'y a pas de Coupe Gambardella [compétition pour les jeunes footballeurs français, ndr] ou de centre de formation en jeu". Un fighting spirit, proche du rugby des années soixante-dix, unanimement souligné par les pratiquants interrogés ce jour-là .
Des paroisses-clubs
En traversant la mer celtique, le gaélique a tout de même subi quelques adaptations. Initialement, 15 joueurs dont un gardien jouent sur un terrain de 120 à 145 mètres de long, alors qu'en France ils ne sont que 11, les enceintes de football ou de rugby existantes s’allongeant péniblement sur une centaine de mètres. Deux mi-temps de 10-15 minutes ont remplacé les deux fois 30-35 minutes irlandaises.
Historiquement, la hiérarchie des clubs irlandais est calquée sur celle de l'église catholique, très influente, avec d'abord les paroisses (2 500 équipes) puis les comtés (32). "On joue toute sa vie pour la même équipe, là -bas", explique un passionné sur la ligne de touche. Les clubs hexagonaux, eux, sont attachés, au sens propre comme au figuré, à des villes. Dans l'Ouest, Liffré (ou Entente gaélique de Haute-Bretagne, EGHB), octuple champion de Bretagne, cultive une grande rivalité avec Rennes, qui elle-même toise Nantes depuis des années. Comme chez les cousins irlandais, les transferts restent rares...
Voyages celtes
L'hermine noire, symbole breizh, est ici fièrement accrochée sur tous les maillots, sans exception. Une (re)découverte pour certains... "Je n'ai jamais autant voyagé que depuis que je fais du gaélique, confie Dimitri Martin, 24 ans, pilier du onze nantais. "Avant, je ne connaissais pas la Bretagne, et ça m'a permis de découvrir la culture bretonne à travers tout un tas de villes et de villages".
L'apprentissage culturel va même plus loin pour quelques joueurs, avec une transhumance initiatique en République d'Irlande. Jean-Marie Triniol s'est rendu il y a quelques années à Parnell Park (Dublin), pour assister à un match de football gaélique avec des amis : "c'était impressionnant de voir la qualité technique et la vitesse de jeu. Mais ce qui m'a surtout plu, c'est l'ambiance populaire dans les tribunes, avec des familles et des enfants en nombre".
Au terme de la rencontre, joueurs et spectateurs sont restés de longues minutes sur la pelouse à refaire le monde. Exactement comme au champêtre Stade de Beauregard, après le coup de sifflet final de ce Rennes-Nantes estival.
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